La compréhension de la hanche douloureuse chez l’adulte jeune a beaucoup évolué ces dernières années depuis la « popularisation » du conflit fémoro-acétabulaire par l’équipe du bernoise. Le conflit fémoro-acétabulaire a été récemment décrit comme une cause de douleur de hanche de l’adulte jeune et identifié comme une cause d’arthrose précoce.
Chez ces jeunes patients actifs et souvent sportifs, la chirurgie peut soulager ces douleurs invalidantes et prévenir l’évolution arthrosique :
- En cas d’interligne articulaire préservée, une chirurgie conservatrice (au mieux sous arthroscopie) visant à éliminer le conflit et traiter les lésions associées est recommandée.
- Dans le cas où la destruction cartilagineuse est trop importante, un traitement non conservateur par arthroplastie de resurfaçage (ou prothèse totale de hanche en cas de contre-indication) peut être proposé malgré le jeune âge. En effet, grâce aux progrès tribologiques récents, on peut espérer une survie des implants très longues tout en ayant une excellente qualité de vie (retour aux activités habituelles, inconstante reprise du sport).
Afin de proposer le traitement chirurgical le plus adéquat, il est nécessaire d’identifier avec précision le vice architectural et de faire le bilan des lésions associées (lésions du cartilage articulaire, lésions du labrum) par un bilan d’imagerie complet. Ainsi dans le bilan pré-opératoire, il est important de dépister des remaniements arthrosiques et de déterminer le type de conflit.
Physiopathologie
La physiopathologie de ce conflit dynamique se résume à un contact anormal répété entre la zone de jonction tête/col du fémur et le rebord acétabulaire, ayant pour conséquence des lésions cartilagineuses et du labrum. Cette situation peut se rencontrer si l’anomalie architecturale siège soit sur le versant fémoral, on parlera alors « d’effet came », soit sur le versant acétabulaire, on parlera alors « d’effet tenaille ». En fait, ces anomalies sont le plus souvent associées.
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Conflit par effet came
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La sphéricité de la tête fémorale est imparfaite, le rayon de courbure augmente à la périphérie antérieure. Il s’agit d’une véritable malformation de la tête fémorale au niveau de la jonction entre la tête fémorale et l’extrémité supérieure et antérieure du col du fémur. Cela traduit l’existence soit d’une « bosse » (ou « bump » chez les anglo-saxons), soit d’une diminution importante de l’offset (concavité antérieure) cervico-céphalique antérieur. Lors des mouvements de flexion/rotation de hanche, il se produit une hyperpression en cisaillement sur le cartilage de la paroi antéro-latérale de l’acétabulum (FIGURE 1), provoquant des décollements cartilagineux (clapets), atteignant plus tard par contiguïté la face intra-articulaire du labrum.
Ce type de conflit par effet came a longtemps été identifié dans le plan frontal comme une forme de « crosse de pistolet » caractérisé par un débord antéro-lateral du col.
Les hypothèses de l'origine de ce troubles restent incertaines. On peut évoquer une correspondance entre la fermeture du noyau épiphysaire de la tête fémorale en mauvaise position, et un débord latéral de la tête. Ainsi, le caractère congénital ou acquis de ce trouble architectural reste à déterminer, sachant la pratique intensive du sport au cours de l’adolescence semble être un dénominateur commun. Cette « épiphysiolyse silencieuse » pourrait ainsi être un facteur étiologique potentiel de ce trouble architectural et donc une des principales cause d'arthrose de hanche (40% des cas d’arthrose idiopathique chez les patients moins de 50 ans).
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Conflit par effet tenaille
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L’anomalie morphologique est une proéminence du mur antérieur de l'acétabulum qui entraîne un contact anormal précoce entre le col fémoral et le rebord acétabulaire (FIGURE 2). Cette situation peut être secondaire soit à une véritable rétroversion acétabulaire, à une proéminence de la paroi antérieure, ou encore à une coxa profunda. Le labrum dans cette situation souffre le premier en raison des chocs itératifs et de la compression entre le col fémoral et l'acétabulum, la transmission de la force au cartilage se limitant à une bande étroite le long du rebord acétabulaire. Ces microtraumatismes répétés induisent la croissance d'os à la base du labrum qui plus tard s’ossifie. Il est intéressant de noter que, dans la cas du conflit par effet tenaille, l’excès de couverture antérieure est à l’origine d’un labrum habituellement petit, siège d’une lésion de sa face articulaire par opposition à la dysplasie au cours de laquelle il est habituellement hypertrophié et le siège d’une dégénéresence myxoïde.
Clinique
Souvent les patients essayent de rapporter le début de leurs symptômes à un événement traumatique. La douleur est habituellement insidieuse au début et désignée comme une gêne dans l'aine particulièrement en flexion. À l'examen physique, la démarche est relativement normale avec quelques patients présentant une boiterie antalgique. Dans les deux types de conflit fémoro-acétabulaire les patients présenteront un test de conflit positif (« impingement test ») en flexion, rotation interne et adduction.
Dans les conflits par effet came, la flexion globale de hanche est limitée ainsi que la rotation interne à 90° de flexion. Les patients peuvent également avoir une gêne irradiant au grand trochanter. Dans les conflits par effet came, le début des symptômes survient habituellement au cours de la trentaine, mais les troubles peuvent débuter dès 20 ans, intéressant plutôt les hommes. L’anomalie architecturale est bilatérale dans plus de 50% des cas, bien qu’une seule hanche soit habituellement symptomatique. Dans les conflits par effet tenaille, il n’y a pas de restriction significative des amplitudes articulaires avec un début des symptômes vers la quarantaine et avec une prédominance féminine. La douleur décrite est une douleur aiguë occasionnelle déclenchée à la marche après une longue période de repos et/ou en position de flexion soutenue de hanche.
Dans les conflits fémoro-acétabulaires, la localisation de la douleur se situe dans l'aine, mais une irradiation trochantérienne, fessière, voire même au fascia lata est possible. Les symptômes peuvent s'améliorer avec une diminution des activités comme par la prise de médicaments anti-inflammatoires. Quand l'histoire n'est pas claire ou que les patients se plaignent de symptômes neurologiques non spécifiques, un bloc test aux anesthésiques locaux peut confirmer l’origine intra-articulaire des douleurs.
Bilan d'imagerie
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Bilan radiographique
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Bassin de face stricte à la recherche d’une rétroversion acétabulaire (signe du croisement, signe de la paroi postérieure) ; une hanche de face recherchant un débord antéro-latéral à la jonction tête-col (déformation en crosse de pistolet) et une image d’empreinte acétabulaire au niveau du col ou « pit herniation », au mieux un profil de Dunn dépistant une bosse (ou « bump ») et mesurant la concavité tête-col fémoral (ou offset cervical antérieur). A défaut un profil de Ducroquet peut être proposé. Le bilan radiographique élimine les diagnostics différentiels et recherche les signes d’arthrose et/ou de dysplasie associée.
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L’arthro-IRM
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L’arthro-IRM recherche des lésions ostéochondrales, un clapet cartilagineux, des lésions labrales mais aussi des signes indirects comme un oedème du col fémoral ou de la lèvre acétabulaire. Les reconstructions radiaires permettent de calculer l’offset cervical antérieur, l’angle de Notzli, le ratio entre diamètre du col et de la tête (ratio de Eijer), et dépistent les rétroversions acétabulaires au 1/3 supérieur de l’acétabulum.
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L’arthro-TDM
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L’arthro-TDM recherchera les mêmes signes que l’arthro-IRM, tout en permettant un calcul plus précis des déformations osseuses et l’exploration de l’interligne articulaire.
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La scintigraphie
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La scintigraphie peut être un argument au diagnostic en cas d’hyperfixation.
Traitement
Après avoir éliminé un diagnostic différentiel et objectivé le vice architectural il faut rechercher des remaniements arthrosiques, qui vont conditionner en fonction de leur sévérité les possibilités du traitement conservateur. Dans le cas ou le cartilage articulaire est conservé, on privilégie le traitement conservateur.
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Traitement chirurgical conservateur
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Le traitement médical ne doit être uniquement proposé qu'en complément du traitement chirurgical dans cette pathologie. Il ne saurait être suffisant dans cette pathologie source d’arthrose invalidante chez des patients jeunes. Le principe du traitement chirurgical consiste à faire disparaître le conflit, c’est-à-dire corriger les vices architecturaux là où ils siègent et traiter les lésions associées. Les conflits par effet tenaille et par effet came étant souvent associés, un geste de « décompression antérieure » est souvent proposé associant différentes possibilités :
- Résection ostéoplastie (ostéo-chondroplastie) du col fémoral: le débord antéro-latéral de la jonction cervico-céphalique est réséqué afin de rétablir la sphéricité de la tête et rétablir la concavité cervico-céphalique, redonnant un ratio tête/col suffisant (offset cervical antérieur). La disparition du conflit après résection est testée en per-opératoire, la rotation interne à 90° de flexion vise à être normalisée.
- Acetabuloplastie de la paroi antérieure: en cas de paroi antérieure trop couvrante sans véritable rétroversion de l’acétabulum (c’est-à-dire en absence de déficience de paroi postérieure), on peut pratiquer une résection de ce rebord osseux proéminent afin d’éliminer le conflit.
Les lésions associées comme les lésions du labrum ou encore les lésions chondrales sont traitées dans le même temps (résection ou suture pour le labrum, résection des clapets, micro-fractures des zones dépourvues de cartilage).
Ces gestes peuvent être réalisés sous arthroscopie de hanche, ce qui offre de nombreux avantages comme une excellente vision per opératoire, un abord peu invasif, des suites plus rapides et moins douloureuses. -
Traitement non conservateur
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En cas d’arthrose avérée, une arthroplastie de resurfaçage (ou totale de hanche en cas de contre-indication) est indiquée. Il apparaît d’ailleurs clair aujourd’hui que le succès d’une arthroplastie de resurfaçage passe par la connaissance parfaite de la pathologie du conflit fémoro-acétabulaire, puisque c’est chez ces patients précisément que l’on trouvera la majorité des indications de cette technique. Le resurfaçage, geste chirurgical qui reste difficile, ne doit pas être pénalisé par des erreurs de technique de pose en cas de conflit fémoro-acétabulaire, comme ne pas rétablir un offset cervical antérieur suffisant, risquer une nécrose ou une fracture de tête au décours.
En conclusion
Il apparaît clair aujourd'hui que le conflit fémoro-acétabulaire fait partie des étiologies des arthroses de la hanche. Si le traitement chirurgical de cette pathologie semble soulager la douleur et améliorer la fonction des patients, il reste à montrer que celui-ci prévient d’une arthrose certaine à long terme, le recul des séries n’étant pas actuellement suffisant. Un dépistage précoce est donc primordial pour l’avenir de la hanche. La compréhension de cette pathologie reste récente et de multiples interrogations subsistent comme le caractère congénital ou acquis, la relation avec la pratique intensive du sport à l’âge où la plaque de croissance de la hanche cicatrise etc...
Comme souvent en chirurgie orthopédique, l’atteinte cartilagineuse est un facteur pronostic déterminant et la prise en charge thérapeutique de ces volumineux clapets cartilagineux acétabulaires reste un défi pour l’optimisation des résultats cliniques et pour la prévention de l’évolution arthrosique. Les solutions chirurgicales aujourd'hui proposées offrent d'excellents résultats. Les techniques de choix sont la correction du conflit sous arthroscopie ou encore le resurfaçage de hanche si les lésions d'arthrose sont présentes.
Pour en savoir plus
« Conflit Fémoroacétabulaire de Hanche : le point de vue du chirurgien » O. MAY, P.E. BEAULÉ, SIMS-GETROA Paris 2007, ed ELSEVIER
« Treatment of failed arthroscopic acetabular labral debridement by femoral chondro osteoplasty A CASE SERIES OF FIVE PATIENTS » O.MAY, W.Y.MATAR, P.E.BEAULE, J Bone Joint Surg [Br] 2007;89-B:595-8.